Jeanne
Un petit temps déjà qu’au travers de la vitrine, je l’avais repérée. Tous les matins, en me rendant au boulot vers neuf heures, je la voyais s’afférer, belle inconnue, à ranger ses nouveautés, à remettre en place ce que ses clients avaient bougé et tout ça avec un sourire à damné un saint. Saint que je ne suis pas et que je n’ai jamais été Dieu merci. Depuis toutpetit, j’ai toujours préféré fleureter avec l’enfer et ses vices plutôt qu’avec les bondieuseries que mes parents et enseignants essayaient de me faire gober à grand renfort de catéchisme, messes et tout le toutim.
La beauté en question devait avoir la petite vingtaine et malgré mes cinquante ans elle attirait irrésistiblement le pauvre type que j’étais. Oh, je vous vois venir avec les poncifs et autres lamentables belles pensées de notre époque. J’en vois même déjà quelques-uns se préparer à sortir les grands mots genre : pédophile. Mais je m’en bats les couilles mois, j’ai toujours laissé libre cours à mes envies quelles qu’elles soient. En plus vingt ans on est loin de l’enfance…
A vue d’œil ma belle inconnue, c’est un petit mètre soixante-dix de pur bonheur. De la fraîcheur à revendre et un enthousiasme des plus délicieux.
Seul détail, mais peu important, elle travaillait dans un endroit que j’avais beaucoup fréquenté il y a quelques années et où je connaissais plus ou moins la patronne.
Ma cible, mon espoir, mon envie était libraire chez « Tropique », une des plus belles librairies du monde.
Plus jeune, j’avais étudié la comédie dans un théâtre tout proche et je m’y rendais très souvent pour y faire le plein de livre de poche. Sartre, Ionesco, Molière, les classiques que j’étudiais en vue de présenter des scènes choisies par mon prof d’art dramatique. C’est à cette occasion que j’avais sympathisé avec les vendeurs. Mais c’était il y a bien longtemps maintenant. Depuis j’y faisais souvent le plein de livres que je ne pouvais trouver ailleurs. Mais jamais je n’avais remarqué cette belle inconnue.
*
Un midi pendant ma pose, je travaillais à deux pas de là. J’ai décidé de me rendre chez « Tropique » pour essayer de me rapprocher d’elle.
En déambulant entre les rayons, j’essayais d’être au plus proche de ma future conquête. Oui future conquête, car je ne sais pas pourquoi, mais ça ne faisait aucun doute pour moi que je finirai par la mettre dans mon lit et peut-être que nous finirions par vivre une de ces belles histoires d’amour que l’on voit au cinéma. Je sais, je sais je suis un inénarrable romantique…
Jeanne, elle s’appelait Jeanne. Putain de joli prénom. Et croyez-le ou non mais de près, elle était encore plus belle, plus désirable.
Je décidai donc de tenter un premier contact.
• Bonjour,
• Bonjour,
• Vous avez «Journal d’un raté de Limonov »?
• Attendez je vais voir
Je la suivais au comptoir, tout en matant discrètement sa chute de reins. Elle bougeait… comment dire… sa jupe courte laissait apparaître de belle jambe, de fin mollet, de minces chevilles, la perfection. J’espérais que ce moment ne s’arrêterait jamais, que le reste de ma vie, je serai là derrière elle à profiter de son corps. Mais la librairie n’étant pas très grande, quelques secondes, a suffi pour qu’elle ne passe derrière le comptoir ou se trouvait son ordinateur.
• Limonov vous m’avez dit ?
• Oui, Journal d’un raté.
• Oh, je vois que ce n’est pas nouveau donc non nous ne l’avons pas en magasin, mais je peux vous le commander ?
Nos yeux se sont accrochés, le temps s'est arrêté. Enfin pour moi surtout. Elle, elle a vite baissé le regard.
• Je vous le commande ?
• Euh… Oui bien sûr !
• Il sera disponible d’ici quelques jours, puis je connaître votre numéro de téléphone afin de vous prévenir dès que nous le recevons.
• Avec un immense plaisir ! 04 69 71 69 69
• Merci, je vous appelle, mais…
• Mais ?
• Attendez venez avec moi.
• …
Dans une fulgurance, elle me prit la main, je la suivais, elle m’emmenait à l’arrière dans ce qui devait être la remise. Des caisses, des livres partout, des étagères remplies des dernières nouveautés, Musso, Levy, Nothomb, enfin tous les trucs qui se vendent par milliers à de pseudos lecteurs, mais qui reconnaissent le font vivre les maisons d’éditions. Elle posa son cul sur une des caisses et m’attira à elle d’un coup sec. Elle fit tomber mon pantalon, écartant ses jambes, et me prit sauvagement. Je restais sans voix, mon désir pour elle m’empêchait de parler. J’étais fou, nous étions fous. Je la ramonais comme un sauvage. Elle poussait de petits cris. Je ne mis pas longtemps à jouir. Elle fermait les yeux et souriait, elle était belle, plus encore, elle était sublime…
• Monsieur,
• …
• Monsieur,
• Quoi ?
• Vous désirez encore quelque chose ?
Elle était encore devant moi, derrière le comptoir à attendre ma réponse.
J’avais rêvé éveillé, tout ça n’était qu’un mirage, un moment d’égarement de mon esprit.
• Monsieur,
« Non merci, bonne journée » lui dis-je.
Je sortais de la librairie avec un drôle de sensation. Je savais maintenant que cette librairie était vraiment spéciale pour moi. Que j’y reviendrai souvent.
Le lendemain, pour la première fois, depuis longtemps Jeanne n’était pas là, la vitrine était éteinte. Sans doute, était-elle en congé. Le sur lendemain la même chose toujours aucune trace de ma belle, et ainsi de suite tous les jours qui ont suivis…
Une dizaine de jours plus tard c’est un jeune homme qui m’a appelé pour me dire que mon livre était disponible. J’en profitais pour demander si Jeanne travaillait ces jours-ci. Jeanne me dit-il ? Nous n’avons aucune Jeanne parmi nos collaborateurs…
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