Liberté

 Liberté

Je suis sorti ce matin, j’ai purgé ma peine, mais pas mes pei- nes. Je viens de passer trois ans dans quatre mètres carrés. L’air de la liberté qui rentre dans mes poumons, son odeur, me fait suffoquer.

J’ai perdu l’habitude. Tant d’espaces, tant de possibilités, j’en ai la tête qui tourne.

Personne ne m’attend, je suis là, seul, avec derrière moi la porte qui se ferme doucement sur un épisode de ma vie. Personne, même pas elle, surtout pas elle. Je le savais, déjà à mes lettres, elle ne répondait pas, j’ai pourtant continué à écrire. Dans chaque mot, j’essayais de faire transparaître mon amour, je voulais qu’elle soit heureuse. Je lui dissimulais mes maux, mes ivresses, ma solitude et mon envie de mort. Pendant mon enfermement, j’ai eu le temps de marcher sur mes certitudes et mon ego.

Je marche. En face de moi un banc, il faut que je m’arrête. 

 Prisonnier pendant quatre ans, ça laisse le temps d’apprendre pas mal de choses, la patience en particulier, par contre on n’apprend pas à se promener, car on ne se promène pas en prison, on rase les grilles, les murs et l’on tourne autour d’un morceau de quelques mètres carrés de pelouse quand on a de la chance, car, bien souvent, c’est du béton. Je ne sais pas où aller, j’ai perdu mes repères dans cet espace illimité, je les ai abandonnés, il y a quatre ans, à moins qu’on me les ait volés. Je n’ai plus personne, aucun parent. De toute façon, je ne me fais pas d’illusions, je n’ai jamais pu compter sur eux. Mon avenir... Quel avenir avec un tel passé ? Par les fenêtres passe une musique qui me la renvoie dans ma tête, elle tape contre mon front, c’est elle. Je ferme les yeux, elle est là devant moi, belle comme un ange. Elle me sourit, mais ne me parle pas. Elle me prend par la main, m’emmène vers le lac où nous nous sommes rencontrés. Elle me fait revivre les prémices de notre histoire. Je suis bien, même si j’ai au fond de moi cette impression de déjà-vu. Elle était herboriste, elle pouvait donc passer des heures à observer la flore. Elle adorait se promener sans but précis, moi aussi. Avec elle, j’avais existé, elle avait été une comète qui était entrée en collision avec mon cœur, elle m’avait bouleversé. Sous ses baisers, j’oubliais mon envie de reconnaissance, elle me suffisait. J’aimais tout chez elle, sa passion pour l’art byzantin, sa collection de petits totems ramenés de ses différents voyages. Je n’avais plus de soucis. Elle m’avait tout donné. Je n’avais rien compris à son amour parfois passionnel, parfois violent. J’avais fini par avoir peur. Malgré l’évidence, je ne voyais aucune continuité à ses sentiments.

J’étais devenu fou, j’avais peur de la perdre, alors... 

Je rouvre les yeux, et avec la lumière du jour a chassé son fantôme. Je sais maintenant que c’était la dernière fois qu’elle m’apparaîtrait, elle avait été emprisonnée avec moi. Dehors elle ne serait plus jamais. Et pour cause, c’est ma faute si elle a disparu. Je ne mérite pas cette liberté.


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