Insensible

Oui, insensible, voilà le terme qui décrit le mieux cette fille que j’ai croisée à plusieurs reprises lors de soirées organisées par des copains de boulot.

Ils m’avaient tous prévenu; plus d’un et plus précisément Marc qui avait essuyé de nombreux rejets. Marc, lui, s’était réellement cassé les dents à chacune de ses tentatives de rap- prochement. Au bout de trois soirées passées à essayer de lui plaire, ayant usé de tous ses charmes, il avait abandonné, dégoûté.

Comme à mon habitude, je n’écoutais pas.

C’était donc il y a quelques semaines chez Jules, comme à chaque fois nous étions une dizaine de jeunes fous à refaire le monde, et Céline était présente. Oui, elle s’appelle Céline, joli nom pour celle que l’on comparait à un glaçon ; tailleur strict, cheveux attachés, lunettes à monture noires lui don- nant un air sévère et excitant à la fois. Elle restait à l’écart pendant nos échanges sur le temps qui passe, sur la vie en général, sur rien de précis en fait.

Elle me regarda, j’esquissai un sourire, elle détourna les yeux. Cette fille imprenable était devenue pour moi le nirvana à atteindre, le Graal sacré, il fallait que moi j’y arrive. Comme la fierté et un ego surdimensionné peuvent rendre con par- fois.

J’allai donc m’asseoir à ses côtés et j’entamai ce qui s’avéra être un monologue. Je n’eus droit ni à un regard, ni à un geste même pas une réponse à mes questions des plus banales.

Les heures passaient et alors que d’autres sur le canapé voi- sin tentaient déjà de glisser délicatement leur main dans la culotte de leur conquête ou amie, moi j’étais toujours au point de départ, au point zéro de ma démarche. Impossible de briser la glace, cette fille était bien comme on me l’avait décrite, imperméable à tout essai de rapprochement qu’ils fussent amicaux ou amoureux.

Il était tard et tout le monde commençait à s’en aller. La plupart partaient accompagnés, le sourire aux lèvres de ceux qui connaissent déjà la suite. Je proposai à Céline, qui pour- tant m’avait ignoré toute la soirée, de la raccompagner. À ma grande surprise, elle accepta, « oui » fut d’ailleurs son seul mot. Toujours en silence nous nous retrouvâmes dans ma voiture.

– 56, Boulevard Raspail, me dit-elle.

– D’accord.

Malgré le peu de monde, la route fut longue, son indiffé- rence était pesante. Je n’essayais même plus de dialoguer tant j’avais usé mes paroles pendant la soirée, et puis, que dire? Elle s’apprêtait à descendre quand sauvagement elle colla ses lèvres aux miennes dans une invitation à monter chez elle.

J’allais réussir là où beaucoup d’autres avaient échoué. Elle était belle.

Dans les escaliers étroits de son immeuble, elle me tenait la main comme si elle avait peur de me perdre. Pour rien au monde, je ne l’aurais lâchée, j’avais trop envie de me laisser emmener vers ce que j’espérais être l’absolu.

À peine la porte close, elle laissa filer le long de ses épaules, sa robe noire qui découvrit en tombant ses hanches fines. Je n’osais pas bouger, j’étais comme pétrifié devant ce corps qui s’offrait à moi de manière aussi brute. Très vite nous ne fîmes plus qu’un dans un délire d’étreintes. Elle me fit l’amour comme si c’était sa dernière fois, comme si sa survie en dépendait. Je jouis très vite. Elle se releva pour aller s’en- fermer dans ce que je devinais être la salle de bains. Moi, je restai là, heureux et con à la fois. Soudain, sa voix brisa le silence :

– Dégage ! Porc ! Sors de ma vie, dégage...

Surpris, je ramassai mes vêtements, je ne comprenais rien, sauf qu’il était temps pour moi de partir, vite.

Les jours passèrent et à plusieurs reprises je tentai de la revoir.

Je me postais devant chez elle, je sonnais, j’attendais, mais personne ne répondait. Elle ne venait plus aux soirées entre amis. Personne n’avait eu de nouvelles, elle avait tout simple- ment disparu.

C’est comme si ce que nous avions vécu n’avait pas existé. En disparaissant, elle m’avait enlevé toute possibilité de redorer mon ego. Je finis même par me demander si ma trop grande consommation d’alcool n’avait pas été responsable de ce qui me paraissait de plus en plus avoir été un rêve, ou plutôt, un cauchemar.


Extrait de Facebook mon amour 2011

                        

       

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